On a retrouvé la maman du petit Merlot !
Elle survivait depuis plusieurs siècles dans un taillis, abandonnée et oubliée de tous, sur les rives de la Rance. Alors qu’on s’attendait à la trouver dans le sud-ouest de la France, les recherches avaient été abandonnées depuis longtemps…Entre-temps, le bambin avait grandi, il avait fait carrière et ne se souciait plus de savoir où se trouvait sa génitrice.
Tels auraient pu être le tire et le chapeau d’un article de votre quotidien préféré pour narrer cette histoire invraisemblable !
Elle commence en 1996, avec la découverte d’un vieux cep de vigne à l’intérieur d’un taillis inextricable quelque part à St Suliac, sur les bords de la Rance[1]. Là où beaucoup n’auraient même pas vu la plante, d’autres un peu plus attentifs auraient noté sa présence incongrue ; deux hommes encore plus curieux et surtout, informé de l’existence de la vigne sur le secteur en des temps reculés, prélevèrent un rameau et le confièrent à un laboratoire de l’INRA de Montpellier, spécialisé dans l’identification des cépages. Jean-Yves Hugues et François-Xavier Perrin sont membres de l’association qui a reconstitué une vigne sur le site du Mont Garot. Après une analyse génétique, le laboratoire constata que le cépage était une variété de vigne cultivée et qu’elle n’était pas présente dans ses collections. Le cépage en question était donc inconnu.
Quelques années passent et, à la faveur de missions d’explorations des vignobles de France, menées entre 2004 et 2007 par le Conservatoire du Vignoble Charentais et l’Institut Rural d’Education et d’Orientation des Charentes visant à répertorier de manière rigoureuse le patrimoine viticole de cette région, 4 plants présentant la même signature génétique que celui de St-Suliac sont découverts sur le territoire des communes de Mainxe, Figers, Tanzac et Saint-Savinien. Dans tous les cas, il s’agit de treilles installées sur la façade de maisons situées dans le vignoble de Cognac, fournissant un raisin noir consommé comme raisin de table. Localement, on l’appelle la Madeleine en raison de son époque de maturité : autour du 22 juillet, fête de Sainte Madeleine. Mais Madeleine est un nom courant en ampélographie puisque 6 cépages, tous blancs, portent déjà ce prénom qui est inclus dans leur dénomination et pour la même raison qu’en Charente, la précocité de leur maturité[2]. Pour la différencier des autres variétés, celle-là s’appellera donc la Magdeleine noire des Charentes, puisqu’il s’agit en effet d’un cépage noir.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, elle n’aurait déjà pas été triviale puisque, dans une région aussi peu viticole que l’est actuellement la Bretagne septentrionale, on y a trouvé un cépage inconnu des scientifiques et que, des découvertes ultérieures établissaient un lien entre la Saintonge viticole et la Bretagne viticole, mais une zone de la Bretagne viticole qui ne cultivait plus la vigne depuis au moins 2 siècles !
L’histoire s’est poursuivie de la manière suivante : Dans un travail mené en coopération avec l’université de Californie, les chercheurs de l’INRA de Montpellier ont établi que la Magdeleine noire des Charentes est l’un des parents du Merlot, le plus bourguignon des cépages bordelais[3], le cépage-roi de Petrus, dont on ignorait l’ascendance. Ce cépage qui a conquis le monde puisqu’il est l’un des plus répandus sur le globe, n’est donc plus considéré comme orphelin ; il descend du cabernet franc qui en était le père, mais on ignorait qui était la mère. La filiation est maintenant établie : Merlot est un petit du cabernet franc et de la Magdeleine noire des Charentes.
Mais au-delà de la narration stricte, plusieurs questions se posent. Si l’on admet que la région d’origine de la Madeleine noire des Charentes est bien la Saintonge, pourquoi retrouve-t-on un plant de ce cépage, manifestement fort ancien et âgé, à Saint-Suliac ? Bien sûr, les échanges commerciaux du port de Saint-Malo tout proche ouvrent des pistes de recherches, il suffit maintenant de les entreprendre !...
Autre interrogation : alors que tout laisse à penser que les cépages implantés dans le val de Rance, cépages sur lesquels on dispose de bien peu de données, fournissaient des raisins blancs issus de cépages blancs comme c’était le cas de la partie la plus septentrionale de la France, voilà qu’en ce début de XXIe siècle, on trouve trace d’un cépage noir !…Le lieu de sa découverte exclut totalement qu’il ait pu être élevé en treille contre le mur d’une maison, comme en Saintonge et l’extrême proximité avec d’anciennes parcelles de vigne évoque plutôt la culture d’un cépage de cuve.
Une autre question vient spontanément à l’esprit : quel est l’âge de ce cep ? Dans l’état actuel des connaissances, les chercheurs en biologie végétale ne peuvent pas répondre à cette question. La vigne est une liane sur laquelle on ne peut pas effectuer d’analyse chronodendrologique comme sur un arbre (on compte les cernes de croissance sur une coupe). Une datation au radiocarbone ne serait pas pertinente non plus car rien ne prouve que le plant actuel ne soit pas un rejet d’un plant plus ancien ; la vigne est une plante vivace dont la capacité à survivre dépasse sans doute l’âge du plant actuel. La réponse, si elle existe, est plus sûrement dans les archives des divers fonds patrimoniaux publics ou privés.
Au plan strictement ampélographique, on peut aussi s’étonner que l’un des parents du merlot, cépage de cuve et non des moins prestigieux, s’apparente à un cépage de table à en juger par les premières informations. C’est méconnaître la logique de la génétique dont les lois ne sont pas celle du simple bon sens populaire. Que l’on songe, pour s’en persuader, qu’un autre cépage qui a fait une carrière internationale, le chardonnay, est issu du croisement du pinot noir et du gouais, ce dernier n’est plus cultivé et pour cause ! Très productif, il donnait en abondance des vins blancs auquel il est difficile de trouver une qualité autre que sa prodigalité. Il demeure qu’il a engendré le chardonnay et d’autres cépages nobles qui, comme pour l’espèce humaine, descendent tous des roturiers.
Enfin, et ce n’est pas le moindre des détails, je crois utile de souligner qu’à l’origine du travail scientifique qui a permis aux chercheurs de l’I.N.R.A. de Montpellier d’identifier l’un des parents du merlot, il y a la découverte d’un plant de vigne, incongru par son implantation, faite par un adhérent de l’Association pour le renouveau des vins bretons. Ce travail qui a été publié dans une revue de viticulture anglo-saxonne[4], mentionne l’origine de la découverte du cépage. Les services de l’état (l’I.N.R.A. est un établissement public) ont donc tiré bénéfice de l’existence de l’association et il serait sain et équitable que les pouvoirs publics lui reconnaissent une fonction culturelle et n’y voient plus seulement un nid de fraudeurs plantant de la vigne au mépris des lois et règlements.
Guy Saindrenan
[1] Contrairement à ce que pensait l’inventeur, il ne s’agit pas d’une lambrusque, ce mot désignant une vigne sauvage. Il s’agit d’un cep d’une variété de vigne cultivée.
[2] Madeleine angevine, Madeleine Angevine Oberlin, Madeleine royale, Madeleine Céline, Madeleine de Clermont, Madeleine Salomon.
[3] En accord avec Anne Sylvestre, je proclame volontiers :
Que Bordeaux me pardonne,
j’appartiens au Bourgogne,
en lui cuve mon cœur…
[4] J.M. Boursicot, T. Lacombe, V. Laucou, S. Julliard, F.X. Perrin, N. Lanier, D. Legrand, C. Meredith, P. This, Parentage of merlot and related winegrape cultivars of southwestern France : discovery of the missing link, Australian Journal of grape and wine research, 2008, p. 1.